Comment est-on arrivé à la guerre Franco-prussienne de 1870

et à l'annexion de l'Alsace par la Prusse ?

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Il m'a semblé intéressant de résumer la période allant des conquêtes napoléoniennes en Europe avec ses conséquences jusqu'en 1870, ainsi que le désir de revanche de la Prusse et ses efforts pour créer un grand état allemand. Basée probablement sur une méconnaissance de la situation réelle, la diplomatie française,  sous Napoléon III a commis une accumulation de graves erreurs qui ont servi de prétexte à Bismarck qui, finalement, à gagné à nos seuls dépends sa deuxième guerre éclair, après celle de 1866 contre l'Autriche.

Cette guerre exclusivement Franco-prussienne (4 Août-2 septembre 1870, date de la reddition de l'armée française et  abdication de Napoléon III) se terminera finalement par la capitulation de Paris le 28 janvier 1871 et la signature d'un traité de paix le 10 mai 1871 confirmant l'annexion de l'Alsace par la Prusse

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On n'y pense pas souvent, mais Napoléon Ier est à l'origine des événements qui se sont traduits, moins d'un demi siècle plus tard, par la prédominance de la Prusse,  et la déclaration de la guerre de 1870. En effet,  la victoire d'Austerlitz  a entrainé en 1805 la dissolution du St Empire Germanique fondé en 962 et la réduction des états allemands de 300 à 40, ainsi que la disparition des barons et comtes d'empire et de plus de mille seigneuries autonomes  renforçant ainsi la puissance des nouveaux états remembrés et agrandis. Louise de Mecklembourg exaspérée par 7 ans d'occupation Française inspire un patriotisme prussien fortement anti-français. Dès 1807, des hommes tels que Karl vom und zum Stein, Karl August von Hardenberg, le feld-maréchal Neidhardt von Gneisenau et Gerhard Scharnhorst œuvrent pour développer le sentiment patriotique allemand,, développer un état prussien moderne et fort pouvant servir de catalyseur  pour une nation réunissant toutes les forces allemandes.

Après avoir renforcé la cohésion nationale par de multiples réformes: abolition du servage, réforme de l'université, de l'armée, une nouvelle liberté d'entreprise  affranchie des contraintes corporatives par la suppression des guildes et corporations, droit d'autonomie administrative communale pour les citadins,  encouragement du libre échange etc. Un patriotisme nouveau découle de ces changements. En 1811, la Prusse prend la tête du mouvement national allemand.  En 1813, après la calamiteuse campagne Napoléonienne en Russie, elle reprend place dans la coalition anti-napoléonienne aux côtés de l'Autriche et de la Russie et joue un rôle majeur dans la libération du territoire allemand.

Le 23 septembre 1862, sur les conseils de son ministre de la guerre, le roi de Prusse Guillaume 1er appelle Bismarck au poste de chancelier et de ministre des Affaires étrangères, après avoir été, entre autre, ambassadeur de Prusse au Bundestag de Francfort, ambassadeur à Paris où il est reçu par Napoléon III.

Après une analyse complète de la situation, Bismarck considère que les relations avec la Russie ne posent pas de problème vu la parenté entre les familles royales; les relations avec la grande puissance britannique dominant l'occident sont un peu méprisante vis a vis de la Prusse, mais que là encore les imbrications familiales et les préoccupations avec les colonies dont les Indes font que les querelles opposant les états allemand continentaux ne sont pas importantes pour eux; Vis a vis de la France, les relations sont bonnes car la France soutient la formation d'un état italien, donc contribuant à affaiblir l'Autriche. Dans ce contexte, Bismarck fait part à l'Autriche de la prétention prussienne à dominer l'Allemagne du nord et de son engagement à défendre Vienne contre toute insurrection intérieure.

Au cours de l'année 1863, Bismarck cumule les erreurs diplomatiques, irritant la France, l'Angleterre et même l'Autriche. Le Landtag  se heurte à l'absolutisme du chancelier . En octobre 1863, le Landtag est renouvelé avec une majorité opposée à Bismarck. L'aversion du Kronprinz à son égard, lui fait comprendre qu'il ne survivra pas au règne de Guillaume 1er.

Suite au décès du roi Frédéric VII de Danemark, s'ensuit une bataille de succession impliquant les duchés germanophones de Schleswig et de Holstein revendiqués par la Prusse.  Londres, St Petersbourg et Vienne s'opposent à ce projet. Coup diplomatique magistral de Bismarck. Il réussit à convaincre l'Autriche de signer avec la Prusse le protocole de Londres qui considère que les deux duchés ne peuvent être réunis et gérés par la même constitution. Ceci déclenche une succession d'évènements entraînant la rentrée des troupes prussiennes et Autrichienne dans le Holstein. La reine d'Angleterre réussit à négocier un armistice et une paix signée le 30 octobre 1864. Le duc d'Augustenbourg renonce à ses droits sur les deux duchés au profit de la Prusse. L'accord de paix stipule que les deux duchés seront occupés militairement par la Prusse et l'Autriche. En 1865, l'Autriche abandonne le Schleswig à la Prusse.

Le 9 avril 1866, L' ambassadeur de Prusse présente au Bundestag de Francfort une motion réclamant son élection au suffrage universel et une réforme de la constitution. Craignant une scission de la confédération entre la Prusse et l'Autriche. la reine d'Angleterre et le Tsar tentent de faire calmer le chancelier.  Napoléon III reprend son chantage diplomatique en jouant sur les deux tableaux.

Bismarck déclenche les hostilités en chassant les troupes autrichiennes du Holstein. Le 11 juin 1866, l'Autriche  mobilise. Bismarck fait proclamer la dissolution de la confédération. Le 26 juillet 1866, après la victoire de la Prusse, un traité de paix entre la Prusse et l'Autriche est signé, sans que les interventions et demandes de Napoléon III soient prises en considération. La victoire de la Prusse clôt la première guerre éclair d'Europe. En quelques jours, la Prusse devient la plus puissante nation allemande. La victoire des Prussiens à Sadowa redore le blason du chancelier et brise les relations de confiance entre la Prusse et la France.

Napoléon III affiche clairement son intention de redonner à la France sa grandeur perdue depuis 1815, par un développement économique certain lié à une forte expansion territoriale jusqu'en Asie. Les relations entre la Prusse et la France se dégradent progressivement suite aux nombreuses demandes de la France pour annexer des territoires allemands de la rive gauche du Rhin, Luxembourg inclus. La France propose  un traité d'alliance avec la Prusse à condition de recevoir le Palatinat Bavarois, la Hesse de la rive gauche du Rhin, la Sarre prussienne et la forteresse de Mayence et le duché du Luxembourg. La réponse de Bismarck est immédiate et sans ambigüité: "Ce serait la guerre entre nos deux pays. Je n'oserai même pas en parler au roi. Il ne peut être question de vous céder une terre allemande. Mais regardez autour de vous les pays ou l'on  parle le français  il y a le Luxembourg, la Belgique..." Malgré cette position on ne peut plus claire de Bismarck, Napoléon III tente d'acheter à Guillaume III, roi des Pays-Bas, le grand-duché du Luxembourg, membre du Zollverein allemand. Une tempête de protestations se développe dans toute l'Allemagne et Bismarck envisage la guerre et publie dans le Times ses réticences vis a vis d'un empereur français félon et utopiste

Dès la signature de la paix de Prague en août 1866, Bismarck se prépare à une guerre contre la France. Pendant les quatre années suivant la paix de Prague, la Prusse et la France se préparent à la guerre. Bismarck se préoccupe de l'organisation de la confédération de l'Allemagne du Nord. Celle-ci est placée sous une constitution fédérale modelée sur celle de l'Assemblée générale de Francfort de 1849 et de celle des Etats Unis d'Amérique. Le roi de Prusse en est le président et reçoit la direction de la politique extérieure en temps de paix ou de guerre et le commandement de l'armée. L'administration intérieure, la justice, l'enseignement et les cultes sont laissés aux différents états fédérés. L'organisme central  est le Bundesrat. Un Reichstag assume des fonctions purement consultatives et exerce un contrôle sur les dépenses de l'état, à l'exception des dépenses militaires. En 1868, une union douanière, le "Zollverein"  comprenant des membres du Reichstag du Nord et des députés du Sud élus au suffrage universel est adjointe aux deux chambres prussiennes.

En 1867, Napoléon III essayes à nouveau d'acheter le Grand Duché du Luxembourg au roi Guillaume III de Hollande. La réaction de Bismarck ne se fait pas attendre et Napoléon III qui avait déjà signé l'acte d'achat doit, humilié,  se rétracteret accepter les conditions défavorables de la conférence de Londres qui  confirment le renoncement de la France et le retrait de la garnison prussienne. Tous les ouvrages de défense sont démantelés.

Malgré la détente apparente de l'exposition universelle de juin 1867, la situation n'est pas claire. La consultation populaire de mai 1870 renouvelle la confiance à Napoléon III et à la politique de paix d'Ollivier qui, en juin 1870 obtiendra même une réduction des effectifs militaires de 15000 hommes, en prétextant qu'à aucune époque, le maintien de la paix n'avait été  plus solidement garanti!

Le 30 juin 1870, un événement rapporté par l'agence Reuter suscite une grande agitation en France et en Prusse: le parlement espagnol  s'apprête à élire le prince Léopold de Hohenzollern comme souverain. La France se considère menacée par la Prusse non seulement à l'est, mais aussi au sud-ouest et s'oppose a ce projet.

Gramont, ministre des Affaires étrangères d'Ollivier fait une déclaration à la tribune de la chambre des députés qui s'avère incendiaire: "la France fait confiance à l'amitié des Espagnols et à la raison des Allemands pour aplanir les difficultés existantes. Si cet espoir est déçu, nous saurons faire face à notre devoir sans hésitation et sans faiblesse, forts de votre soutien et de celui de la nation". L'ambassadeur de France à Berlin sollicite une audience de Guillaume Ier qui se trouvait  alors à Ems pour obtenir une déclaration  désavouant la candidature d'un Hohenzollern. Guillaume doit faire face à l'opposition du Tzar et de la Reine d'Angleterre à la candidature de Léopold. De plus, l'Allemagne du sud s'oppose à une guerre servant les dessins d'une dynastie étrangère. Le 12 juillet, Guillaume reçoit de Charles-Antoine, père de Léopold l'assurance que les Hohenzollern n'ont aucune prétention en Espagne. Cette déclaration calme les esprits en France et en Prusse. Désavoué, Bismarck  songe à quitter le pouvoir. Une énorme maladresse de la diplomatie française va le sauver et plonger l'Europe dans la tourmente. En effet, Gramont charge Benedetti de présenter à Guillaume Ier deux exigences: 1) l'approbation écrite de la renonciation de Léopold et 2) l'engagement de ne jamais plus soutenir une candidature Hohenzollern au trône d'Espagne. Guillaume  accepte la première mais refuse de s'engager sur la seconde. Guillaume charge le prince Radziwill de confirmer à Benedetti qu'il a reçu un message de Charles-Antoine confirmant officiellement la renonciation de son fils. Guillaume demande a son collaborateur Abeken d'écrire une dépêche d'information pour Bismarck qui passera à la postérité sous le nom de dépêche d'Ems: "Le comte Benedetti m'a arrêté au cours d'une promenade en me demandant, avec une insistance déplacée, de l'autoriser à télégraphier  immédiatement que je m'engageais pour l'avenir à ne jamais donner de nouveau mon accord au cas où des Hohenzollern reviendraient sur leur candidature. Je l'ai finalement congédié avec sévérité, car on ne peut pas et on n'a pas le droit de prendre pour toujours de pareils engagements. Je lui ai dit, bien entendu, que je n'avais encore rien reçu, et comme,  par Paris et Madrid, il était tenu  avant moi au courant, qu'il veuille bien comprendre qu'encore une fois mon gouvernement n'était pour rien dans cette affaire. Sa Majesté à depuis reçu un message du prince (de Hohenzollern). Puisqu'Elle  avait dit au comte Benedetti  qu'Elle attendait  des nouvelles de celui-ci. Sa Majesté prenant en considération l'exigence en question, ainsi que le rapport et celui du comte Eulenbourg (Ministre de l'intérieur de Prusse), a décidé de ne plus  recevoir l'ambassadeur de France, mais de lui faire dire par son aide de camp que Sa Majesté avait à présent reçu  du prince la confirmation de cette nouvelle déjà annoncée par Paris à Benedetti et qu'Elle n'avait plus rien à lui communiquer. Sa Majesté s'en remet à Votre Excellence de juger si cette nouvelle mise en demeure de Benedetti et son rejet doivent être de suite communiqués tant à notre ambassade qu'à la presse."

Bismarck, humilié, veut rétablir sa prééminence politique. Convaincu que la guerre est désormais inévitable, il ne voit que la provocation diplomatique pour pousser l'Empereur français à l'agression. Sans consulter Guillaume Ier, il communique à la presse une version raccourcie et remaniée de la dépêche de l'Empereur: " La nouvelle du retrait du Prince héritier de Hohenzollern a été officiellement communiquée au gouvernement royal espagnol par le gouvernement français. Depuis, l'ambassadeur  français a adressé à Ems au Roi la demande de l'autoriser à télégraphier à Paris que le Roi s'engageait à tout jamais à ne point permettre la reprise de la candidature. Là-dessus S.M. le Roi a refusé de recevoir de nouveau l'ambassadeur et lui a fait dire par l'aide de camp qu'Elle n'avait plus rien à communiquer."

Le 14 juillet 1970, la publication de la dépêche par la presse stupéfie le gouvernement français. Napoléon III s'estime contraint à engager la guerre et fait voter les crédits militaires le 15 juillet. Du 18 au 22 juillet, les offres de médiation de l'Angleterre et du pape n'aboutissent pas. Des manipulations de Bismarck isolent la France de ses alliés.

Bismarck se veut proche de ses soldats, porte l'uniforme et s'installe à Mayence. A contrario, l'état major français trop en retrait des lignes d'engagement, est incapable de mettre en œuvre une stratégie efficace. Les trois armées françaises se réduisent à trois corps d'armée. Les défenses de Strasbourg sont inexistantes.

L'offensive allemande  du 4 Août, dirigée par Moltke, surprend les français. La première attaque vise Woerth et Wissembourg. Elle est rondement menée malgré la charge héroïque  des Cuirassiers français de Reichshoffen. La division  Bonnemain est anéantie sous le feu de 48 canons et de l'infanterie allemande. Ces derniers ont, de leur côté, perdu la moitié de leurs officiers et les deux tiers de leurs hommes. Mac-Mahon se replie  au-delà des Vosges, mais n'a pas le temps de détruire les tunnels  vosgiens, Les défaites de Froeschwiller et de Woerth ont livré à l'ennemi la plaine d'Alsace sans défense et ouverte sur la France de l'intérieur. Mac-Mahon doit encore se replier après avoir perdu Sedan. Le 2 septembre 1870, les 83000 hommes de l'armée française capitulent et l'empereur Napoléon III se constitue prisonnier et abdique. A Paris, le gouvernement républicain de défense nationale, sous la présidence de Gambetta, décide de poursuivre la guerre sous un mode révolutionnaire. Moltke décide de mettre Paris à genoux et installe son quartier général à Ferrières puis  Versailles.

La déchéance de l'empereur et la proclamation de la IIIe République sont prononcées le 4 septembre 1870. Thiers, nommé chef du pouvoir exécutif par l'Assemblée nationale réunie à Bordeaux, lève de nouvelles armées qui s'opposent à l'occupant.  Paris assiégé capitule le 28 janvier 1871.  Bismarck ayant renoncé à une victoire absolue, contrairement aux militaires, une paix définitive entre la France et la Prusse est signée le 10 mai 1871, confirmant l'annexion de l'Alsace par les Prussiens.

Le 18 janvier 1871, le roi de Prusse prend possession de ses nouveaux territoires dans la galerie des glaces de Versailles lors de la proclamation d'un Empire allemand regroupant la Prusse et les Etats du Sud. L'Alsace (sauf Belfort francophone), c'est à dire le Haut Rhin et le Bas Rhin ainsi que la Moselle deviennent un Reichsland. En clair, c'est  une province meurtrie de plus d'un million d'habitants et 14500 kilomètres carrés qui est brutalement arrachée à la France.

En plus, la France devra verser à la Prusse, au titre de dommages de guerre, une indemnité de cinq milliards de franc-or, payables en trois ans.

Si l'annexion de l'Alsace ne semble pas avoir été clairement formulée au début des hostilités par Bismarck qui parle alors de la destruction des forteresses et des ouvrages de défense. L'action de la résistance française s'affirmant, l'annexion de l'Alsace permet de répondre à la force par la force. Il fait d'une pierre deux coups car les revendications nationalistes sont de plus en plus vives outre-Rhin et la Prusse renoue avec le fantasme d'une seule nation unie par la langue (une reconstruction du St Empire Germanique en quelque sorte!)

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J'ai consulté plusieurs ouvrages avant de rédiger cette page. Finalement, je me suis largement inspiré d'un excellent livre récent dont je recommande vivement la lecture. Il s'agit de:

"HISTOIRE DE L'ALSACE de Philippe Meyer, éditions Perrin - Dépôt légal mars 2008 - ISBN: 978-2-262-02769-8

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